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Chapitres

 

Christine Lemoine
Juin 2011


 





Accueillir et socialiser chaque enfant

Bonjour(s)

Chacun arrive à sa façon, avec ses mots à dire, à toucher, à partager du regard, ou à garder précieusement pour le copain.
Il y a ceux qui filent d'une traite dans la classe, ceux qui se déplacent accrochés à la jambe de maman.
Il y a des parents qui s'agenouillent pour un énorme bisou, d'autres qui glissent leur enfant dans la classe sans que l'on s'en aperçoive, ceux qui font rempart à l'embrasure de la porte, égrainant les nouvelles recommandations du jour, ceux qui s'installent à une table pour dessiner sous la conduite de leur enfant un petit gribouillis trésor glissé bien plié dans la poche.
Nous essayons de nous adapter : échanges doux-drôles pour les uns, câlins fort du matin pour d'autres, petit bonjour de loin, ou gratouillis au doudou tout propre... Quand tout le monde est arrivé, je ferme la porte de notre classe, les derniers parents comprennent sans mot dire, qu'il est temps de se séparer, nous venons parfois les aider, rassurer l'enfant, le détourner de son angoisse avec un escargot, un copain... sans forcément y parvenir !
Au fil des jours, le temps de l'accueil se ritualise et devient plus serein et plus bref.
Ce sont les élèves que je reçois d'abord
, face à face, à leur hauteur, assise sur un banc. Je les laisse se raconter ou se taire, je commente la nouvelle tenue, j'appelle chacun par son prénom... Avant de saluer les parents, d'échanger autour des enfants.
Cet accueil, délibérément centré autour de l'élève, rassure petits et grands.

Certains propos doivent rester confidentiels
, ils peuvent jaillir au détour d'un échange anodin, dans un couloir aux multiples oreilles. Dès que je sens un glissement, j'interromps la conversation, nous allons à l'écart.
Aucun commentaire désobligeant sur un élève, son comportement... n'est énoncé dans le couloir, publiquement. L'enfant est à l'école pour apprendre, y compris à devenir élève.
S'il éprouve des difficultés, nous prenons rendez vous
avec les familles et nous échangeons sans la pression du qu'en-dira-t-on, sans la pulsion du "pénible qui m'a pourri la journée...".
A l'écart et au calme, nous pouvons échanger, informer d'une difficulté et aider l'enfant à se construire une autre posture d'élève, avec - ou sans - l'aide des familles.

L'accueil me semble un moment délicat, qui demande du professionnalisme.
Il impacte fortement la perception de la classe
qu'ont les parents comme les élèves. Il teinte les premiers instants de la journée. Il nous aide aussi à comprendre l'enfant dans sa globalité. Je n'imagine pas le déléguer systématiquement à un enseignant de service ou à l'ATSEM, quelles que soient leurs qualités.

 

Tout accueillir ?

Des trésors accompagnent parfois l'enfant : doudoux, tétines... Nous les acceptons bien volontiers, pour que ce passage d'un monde à l'autre se fasse en douceur, au fil d'objets familiers.
Au bout de quelques semaines, ils sont rangés dans les casiers dès que la journée débute, d'abord par les adultes de la classe, puis par les élèves à qui je demande de le faire. Il arrive qu'un petit s'arrête furtivement derrière son casier pour tétouiller deux secondes son doudou avant de repartir !
En grande section, nous demandons aux enfants (et aux parents) de ne plus en apporter.
Certains garçons préfèrent les petits voitures ou les personnages aux doudous... Problèmes : si les doudoux ne sont jamais empruntés, les petits jeux attirent les convoitises et parfois disparaissent. Je les range en hauteur, à la vue de tous et je les rends le soir.

J'accepte ces objets de transition, qui facilitent l'intégration des enfants à notre collectivité. Je refuse tout ce qui sort du cadre des missions de l'école.
Pas de pain au chocolat mâchonné ou de biberon : la classe n'est pas une extension de la cuisine familiale.
Pas de fusil-mitrailleur multifonction ou de déguisement de spouder-man : la classe n'est pas une salle de jeu, même si les coins jeux y ont leur place, ils répondent à certains critères et objectifs.
La classe n'est pas une infirmerie : pas d'enfant fiévreux, même quand il a tellement envie de venir.
Enfin, l'école n'est pas une halte-garderie : après 20 minutes, les grands retardataires trouvent les portes fermées. (Je veille par ailleurs à être toujours à l'heure.)

Mais quand Dorianne et ses frères ramènent un vieux sac à main, on hésite..."Regarde, maîtresse."
Elle ouvre le sac fièrement, le lève et le retourne d'un coup.
Elle plonge, tout sourire, son regard dans le notre : une pluie de pâquerettes cueillies à huit mains a recouvert la table. "C'est nous qu'on l'a cueilli !"
landart maternelleOn garde la merveille apportée bien sur.
Et comme on ne se refait pas, on l'exploite : Land-art pour tout le monde !

Toutes les trouvailles, rituels, et petits bonheurs familiaux, aussi touchants et riches soient-ils, ne sont pas toujours exportables à l'école, du bâtonnet de glace dégusté un jour d'été à la peinture sur grand format (et gazon, pieds, ventre...), mais dès qu'un pont peut se faire entre la maison et l'école, nous n'hésitons pas !
L'investissement des familles, des élèves y sont sans commune mesure.

 

Cadrer les modes de
communication de l'enfant

Accueillir la parole de chacun ne signifie pas accepter tous les modes d’expression.
Quand un enfant "parle" avec ses poings, je lui rappelle la loi, sans colère, il est là pour apprendre : " Est-ce qu'on a le droit de taper dans la classe ? Est-ce que tu as tapé ? Oui, alors tu ne peux pas rester avec nous ... "
Et l'enfant est assis, à l'écart -mais à portée de vue- sur la chaise magique. Magique ? Quand on est assis dessus, on ne frappe plus. Magique, non ! Un peu d'humour dans la vie de la classe, c'est toujours bon à prendre. Cela nous permet de nous mettre à distance des grincements, de la colère qui parfois nous envahit pour agir plus sereinement.
Petit à petit, en intervenant sur chaque coup porté, en ne négociant jamais, la plupart des enfants intègrent cette barrière infranchissable : on ne frappe pas les autres.
Certaines années, plus tendues que d'autres, les lois de la classe sont énoncées, écrites, au fur et à mesure que notre vécu les révèle. Une seule est imposée dès la rentrée : "Je ne tape pas".

L'enfant construit à l'école ses premières relations sociales en dehors du cercle familial. Il faut parfois l'aider à en définir le cadre corporel.
Certains petits manifestent le besoin ou l'habitude de toucher la personne avec qui ils communiquent. Il faut parfois expliquer que certaines parties du corps sont privées, et que " l'autre " n'est pas un nounours que l'on peut caresser à sa guise. Un câlin se partage, jusque dans ses limites.

Il arrive inévitablement un moment ou un enfant tire le pull de l'enseignant, tandis que son copain lui tapote le bras alors qu'un troisième répète pour la 37ème fois "maitreeeeeeesse"sur le même ton sans même le regarder.
On pourrait tenter, en "bon serviteur" de l'enfant, de répondre à toutes ces sollicitations en même temps. Ou, en fonction de notre résistance nerveuse, de satelliser tout le monde !
Notre tache d’enseignant consiste notamment à conduire l'enfant vers une meilleure maîtrise des langages : savoir tenir compte du destinataire, de sa disponibilité, et apprendre à "parler ensemble", à communiquer.
Quand on me tire la manche, je fais la même chose, surtout SANS tendre une oreille, pour obliger l'enfant à utiliser le langage dans sa fonction de communication et non comme une manifestation réflexe d'un besoin : "Je veux quelque chose, je tire une manche, je l'obtiens." Comme l'enfant le pratiquait nourrisson : " je veux mon biberon, je pleure, je l'obtiens..."

Il s'agit dans tous les cas d'amener les enfants à utiliser (plutôt !) la communication verbale, dans le respect de l'autre. Un travail d'orfèvre impossible à mener correctement dans une (jungle) classe de 30 élèves.

 

L'enfant violent

Il arrive exceptionnellement qu'un enfant continue d'être violent après plusieurs semaines. Différentes actions peuvent être envisagées, sans garantie...
Au sein de la classe, je ne propose au plan de travail que des ateliers autonomes pour me consacrer durant quelques jours à cet élève. D'abord pour l'observer et tenter de mieux comprendre notamment le type de situations, de relations qui génère cette agressivité. J'interviens aussi pour marquer les contours du comportement social attendu, pour rendre cette première loi INCONTOURNABLE : je ne tape pas. Il n'y a pas de discussion lorsqu'elle est bafouée. Mes phrases rituelles se limitent à : "Est-ce qu'on a le droit de taper dans la classe ? ... Alors tu ne peux pas rester avec nous." Le « Mais pourquoi tu l'as tapé ? » ouvre une faille dans la loi de la classe. Il y aurait des cas, des raisons qui rendraient cela possible ?… Non ! L'enfant est isolé -mais toujours à portée de vue- à chaque fois qu'il est violent.
Après vient le temps de la discussion, de la compréhension, quand cela semble utile.
Mais pour que l'exclusion du groupe soit un moyen de pression efficace, il faut que l'enfant gagne plus à participer à la vie de la classe, qu'à rester seul sur une chaise. Une organisation respectueuse de ses besoins, associée à une pédagogie de la réussite, qui reconnaît chacun dans ses réalisations, peut parfois éviter à certains de manifester leur existence ou "savoir faire" à coup de griffes.
Un enfant parfois, ne parvient pas à sortir du chaos qui l'accompagne. Il nous reste à tracer au quotidien deux lignes de perspectives, pour lui ouvrir un petit bout de chemin :
- le sécuriser affectivement même si....
- lui rappeler sans cesse le cadre de vie collective.
Sans rien lâcher jour après jour, de septembre aux grandes fatigues de fin de trimestre, ni sa reconnaissance (en autre chose que LE VILAIN), ni ce cadre tout aussi sécurisant.
Il arrive, qu'à force de patience, il construise à tâton entre ces deux lignes, une posture d'élève.

Les familles participent bien sur à cette action éducative. Elles sont informées, et associées autant que possible à ce travail de socialisation de l'enfant. Sans jugement.

Les enseignants de l'école, peuvent constituer un front d'adultes face aux difficultés, plutôt qu'un ensemble de petits points isolés dans sa classe, priant pour que tel "monstre" ne leur soit pas confié. L'équipe existe d'abord pour l'intérêt particulier de chacun : en cas de difficultés, le relais peut être pris... ou donné. Cela peut se traduire par l'engagement de tous à recevoir un enfant "difficile" d'une autre classe, pour que cette dernière puisse se reconstruire une vie collective plus sereine, en retracer les contours parfois explosés par un seul enfant, pour offrir à l'enseignant du temps pour respirer, évaluer la situation et réagir. Faut-il que le nombre d'enfant au comportement violent ne soit pas concentré sur un quartier, une école !

Le RASED et la médecine scolaire devraient pouvoir apporter leur aide aux équipes comme aux familles... quand ils existent ! Ces réseaux d'aides sont progressivement détruits, le nombre d'enfants géré par un seul réseau augmente alors que nos besoins se font de plus en plus pressants.

 

Impact de l'organisation de
la classe

Le groupement par groupes de couleurs proposé traditionnellement en maternelle comporte une grande part de violence pour certains enfants qui doivent respecter un nombre important de contraintes inédites. Ils doivent effectuer :
une activité imposée,

d'un niveau imposé,

à un moment imposé,

avec des enfants imposés,
parce que la maîtresse l'a dit lors d'un regroupement collectif imposé où il a fallu écouter et comprendre tous en même temps de drôles de mots, qui ne sont pas forcément destinés à leur groupe !


Vite ! Trouver LA SORTIE !...

Certains la cherchent parfois à corps et à griffes.
De plus, les coins jeux sont destinés généralement à ceux qui ont terminé leur travail.
Les moins scolaires qui avaient du mal à intégrer les contraintes de l'école, ont du coup moins accès à la socialisation inhérente à ces espaces, alors qu'ils semblent souvent être ceux qui en ont le plus besoin.
Ils s'intègrent difficilement à l'école qu'ils perçoivent d'abord comme un lieu de contrainte, d'exclusion. L'écart se creuse dès la maternelle entre eux et les bons élèves, ceux qui ont le profil social, culturel et relationnel pour se plier sans stress aux exigences de l'école.

Il est possible, en organisant la classe autrement, de ne pas générer cette tension qui épuise grands et petits, de prendre en compte les spécificités du jeune enfant pour le conduire pas après pas à devenir élève, avec fierté, d'où qu'il vienne.
C'est l'objet de ce site, avant tout pratique, que quelques lignes, ici, ne suffiraient pas à résumer...