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Chapitres

 

Christine Lemoine
Mars 2011

 

 

 

 

Le langage scolaire

Enseigner le langage scolaire :
Pourquoi ?

La consigne scolaire recouvre un type de langage particulier dans une situation de communication (1) inédite pour le jeune enfant.
Le langage, de façon générale nous pose problème à l'école maternelle : il est à la fois objet d'apprentissages et vecteur d'apprentissages.
La passation de consignes concentre ces missions imbriquées. Les mots de l'école constituent en eux-même des connaissances spécifiques à acquérir, des concepts à construire et l'enfant doit être en mesure de comprendre ces mots pour accéder aux activités.
Un exemple classique :
" On va chercher et colorier les personnages comme dans le livre "Petit poisson blanc". Si vous avez besoin du livre, il est à la bibliothèque. " Simple pour nous, et pourtant...
Il ne s'agit pas de tout colorier en rose... même si on n'aime que le rose ! (Exemple authentique d'une petite fille qui, lors du premier essai, ne pouvait lacher le feutre rose...)
Il ne s'agit pas non plus de passer son temps à feuilleter l'album... même si on adore tellement ce petit poisson banc.
Le coloriage constitue une façon de coder un savoir, l'enfant doit montrer qu'il a reconnu les personnages du livre...qui changent d'un livre à l'autre, même s'ils se nomment toujours "personnages" ... la maman de petit poisson blanc comme le monstre poilu ou la voiture teuf-teuf !
L'élève prend de la distance avec le plaisir moteur du coloriage, avec le lien affectif tissé avec les albums, les couleurs, pour s'engager dans l'abstraction des apprentissages : il identifie des catégories (le personnage, le livre représenté par sa couverture sur la fiche), il met en oeuvre des procédures (chercher, trier, coder, se référer à une connaissance, utiliser des aides comme le livre...).
En s'emparant des mots de l'école (" On va chercher et colorier les personnages du livre"), l'enfant acquiert à la fois une posture d'élève et des outils pour penser.

Il m'a semblé important de mettre en oeuvre un travail spécifique pour permettre aux enfants, quelque soit leur héritage culturel, d'accéder au langage scolaire et à travers lui, au métier d'élève.
À ce titre, j'ai instauré des rituels d'échanges autour de différents supports : le plan de travail, les brevets de réussites, le bilan et bien sur l'ouverture progressive des ateliers abordée dans le chapitre "La passation de consignes".

Par ailleurs, ces interactions langagieres ritualisées s'inscrivent dans un enseignement plus général de la langue orale en maternelle (2) en permettant, à peu de frais, le travail du système temporel (passé/présent/futur), l'utilisation des pronoms «je»,«il/elle/on» et la complexification de la syntaxe, le tout, bien souvent, dans une structure de communication adaptée aux jeunes enfants.

(1) L'impact de la structure de communication en maternelle est abordée sur le chapitre "La passation de consigne - La question du regroupement collectif."
(2) Voir "Enseigner la langue orale en maternelle" de P. Boisseau chez Retz.

 

Le plan de travail

Le plan de travail est affiché au tableau et présente les ateliers de la matinée.
C'est un support de langage privilégié qui permet aux enfants de se projeter en tant qu'élève, à partir de représentations de l'activité.

Échanges individuels autour du plan de travail en PS/MS :

1 - Énoncer la consigne scolaire
Durant l'accueil le matin, je demande à un élève de service de me lire le plan de travail :
- «Qu'est-ce qu'on va faire aujourd'hui ?»
- «Là, c'est peinture.»
- «Qu'est-ce qu'on va faire à la peinture ?»
- «On va peindre les messieurs carrés.»
- «On ne va peindre que les carrés ?»
- «Non, les carrés, les ronds, tous les messieurs...» (...)

Tous les ateliers du plan de travail sont ainsi commentés, en essayant d'avancer au plus près de la consigne scolaire, à la hauteur du niveau langagier de chacun.

2 - Se projeter dans le plan de travail
Si le degré d'attention de l'enfant le permet, je lui demande ce qu'il a déjà fait et ce qu'il voudrait faire. Les petits curieux qui nous accompagnent se manifestent généralement aussi !
Une remarque : le choix n'est pas toujours possible. Certains enfants doivent travailler à un atelier qu'ils n'ont pas encore fait, en fin de roulement. (Voir le chapitre "L'inscription aux ateliers".) Leur nom est alors écrit au tableau.

3 - Coopérer dans la mise en oeuvre des ateliers
Enfin, je précise aux enfants l'ordre d'ouverture des ateliers: "Je vais d'abord ouvrir l'atelier de transvasement à la boite rouge, après l'atelier de peinture et en dernier le jeu des drôles de bonshommes à la boite bleue." Il s'agit de rassurer ceux qui attendent leur atelier, de leur permettre de patienter plus facilement. En fonction du degré de maturité, l'enfant de service aide à la mise en place des ateliers.
A noter : La structure d'échange (adulte/enfant + les petits curieux) facilite la communication et permet, à travers ce moment privilégie, de développer des liens entre l'enfant et l'école.

Regroupement collectif en GS :

Les enfants en grande section ont acquis des compétences d'élèves : ils maîtrisent mieux le langage scolaire, les attentes de l'école, ils sont capables de mobiliser leur attention et commencent à maîtriser la communication collective. Ces élèves ont moins besoin de voir le matériel, l'activité pour comprendre les consignes et se projeter. (Voir "La passation de consignes".)
Le travail langagier s'effectue alors en regroupement avec les GS, et uniquement ces élèves. Les enfants s'inscrivent directement sur le plan de travail.(Voir "Ateliers autonomes en GS, le plan de travail.")

Ce dispositif participe par ailleurs à la construction du système de temps en mettant l'enfant en situation d'utiliser le futur, généralement formulé à partir du verbe aller.

 

Les brevets de réussites

Lors de la validation du brevet, certains enfants sont amenés à réinvestir le langage des consignes, pour une activité qu'ils ont déjà réalisée. (Il a bien d'autres objectifs, qui sortent du cadre de ce chapitre.)
- «Qu'est-ce que tu as réussi à cet atelier ?»
- «Çà, le une étoile.»
- «Raconte moi comment tu as fait.»
- «J'ai mis pareil de marrons.»
- «Comment sais-tu qu'il y en a pareil, qu'il y en a autant ?»
- «J'ai compté» ou «Je les ai rangés pareil.» ou «...»
- «Voilà, tu as réussi à reconnaître 1, 2, 3, ou 4 marrons. Je mets le tampon du jour.»

Quand l'activité le permet, nous essayons d'énoncer ce que l'enfant a appris, ainsi que les procédures utilisées. Cet échange est gourmand en temps, j'essaie donc de cibler les élèves qui en ont le plus besoin.

Les brevets de réussites, à mi-chemin entre le livret de compétences et le cahier de vie, sont collés dans le cahier d'élève et mis à disposition sur une table à l'accueil, le matin.
Les enfants aiment les feuilleter, raconter ce qu'ils ont fait, au fil des photos.
J'essaie d'y accompagner les élèves les plus fragiles autant du point de vue du langage scolaire que de l'investissement : regarder avec un adulte ses réussites, partager un temps de connivence autour de son travail peut faire évoluer favorablement le rapport aux apprentissages.

Ce dispositif participe lui aussi à la construction du système de temps en mettant l'enfant en situation d'utiliser le passé, généralement formulé à l'aide du passé composé.

Le bilan


Je sélectionne généralement trois réalisations d'enfants pour un bilan.
Pour faciliter l'échange en regroupement collectif de PS/MS, nous utilisons un bâton de parole : seul l'enfant qui le tient peut parler. Nous suivons généralement le même fil d'échanges initié par mes questions rituelles.

1. La description : «Qu'est-ce que vous voyez ?»

J'invite les enfants à décrire, à raconter ce qu'ils voient et je les ramène souvent à cette consigne «C'est intéressant mais ce n'est pas ce que j'ai demandé. Qu'est-ce que tu vois ?»
Différentes raisons à cette orientation du débat :
La description, à travers le contraste des réalisations sélectionnées, contient en germe les critères de réussites, les procédures implicites que ne perçoivent pas certains élèves en difficultés. «Ici, y'a des toutes petites carottes.» «Là, elles sont rangées en tas.» «Là, elles sont rangées les unes à côté des autres À partir de ces premiers mots, nous allons pouvoir commencer à construire les concepts de taille, d'orientation qui se cachent derrière la consigne.
Par ailleurs, la description permet d'identifier les données qui semblent encore inaccessibles aux élèves. Aucun enfant n'a évoqué lors du bilan les triangles placés différemment, par le côté. L'orientation de cette forme a été intégrée au plan perceptivo-moteur par certains, mais elle n'est pas encore conceptualisée.
Enfin, le stricte respect de la consigne (dire ce que l'on voit) permet d'évacuer le bien/pas-bien peu productif, qui surgit en premier lieu.

2. L'explicitation des procédures : "Qu'est-ce qu'il fallait faire ?"

«Il fallait essayer de fabriquer un tableau de carottes comme celui-là. "
Le travail précédent autour de la description des réalisations facilite l'explicitation des procédures.
- " Oui, ici, il y a des carottes toutes petites. Comment faire des carottes plus grosses ? Qui peut aider ce copain ?"
- "Il faut prendre un plus gros morceau de pâte."
- "Tu peux nous montrer ?"
Après avoir abordé ces questions de rapport entre la quantité de pâte à modeler et la taille de l'objet, nous cherchons lors de ce bilan à verbaliser comment faire pour ranger les carottes sur l'ardoise. Nous parlons de sens, de côté, d'alignement... J'explique aux enfants comment placer le triangle par la pointe tout en prévoyant de travailler sur l'orientation de formes géométriques ultérieurement.


Le bilan a permis :
- d'accroître les connaissances autour du langage scolaire dans des aller-retour de la sphère de l'action, si familière aux jeunes enfants, à la sphère du langage, de la pensée.
- de mettre en lumière des procédures et des concepts parfois implicites.
- d'exercer la communication collective à partir du vécu scolaire des enfants.
- de susciter un nouvel intérêt d'élèves au regard des défis présentés : l'enfant perçoit le problème qu'il doit résoudre.
Des élèves de petites sections qui n'avaient pas dépassé le plaisir sensori-moteur d'empiler de la pâte à modeler, sont retournés à l'atelier suite au bilan. Ils ont pu s'approprier la consigne et résoudre, à travers la manipulation, les problèmes d'orientation, de quantité et de taille.