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Chapitres

 

Christine Lemoine
Juin 2011

 

 




Entrez dans notre classe grâce aux vidéos de l'article "Tout en images : l'entrée dans l'activité"

La passation de consignes

Les faiblesses du regroupement
collectif

L'accueil se termine dans ma classe.
Des enfants construisent des mondes aux coins jeux, d'autres assis pouce en bouche, finissent leur nuit.
Une petite fille déploie des trésors graphiques sur une table.
C'est le moment ou traditionnellement je frappe dans mes mains : "On range."
Certains tentent de gagner un peu de temps. "Mais c'est l'heure des ateliers ! Alors ON RANGE et on va s'asseoir au coin regroupement."
Les dessins sont posés inachevés dans les casiers, un vaisseau spatial en duplo est caché sous le tapis...
La peur du petit écrasé par 20, 30 autres au coin regroupement l'enferme un peu plus derrière son pouce.
Un enfant en repart.
Le rattraper.
Le ramener avant que d'autres ne l'imitent.
Il fait chaud.
Présenter les ateliers.
Quelques uns tendent l'oreille, ceux que la chose scolaire passionne.
Mais pour beaucoup, la consigne verbale s'évapore…


Parce que de drôles de mots viennent de la-bas au loin
, quand ici une tache de rousseur a atterri sur l'épaule du voisin, parce que la bosse sous le tapis se voit un peu trop, parce que chacun a dépensé tellement d'énergie à abandonner son projet, à ranger, se ranger, chut, attendre, regarder, tandis que le dessin inachevé laisse une aigreur au cœur, un mauvais goût d'école.

Quand l'espace relationnel du tout petit se limite au mètre carré l'avoisinant, la structure "grand groupe" ne constitue pas un dispositif efficace de lancement des ateliers, elle n'atteint que les enfants ayant déjà une posture scolaire, en exclut les autres.
De plus, en brisant chaque matin l’activité qui s'est construite à l'accueil, les enfants épuisent leur énergie dans les rangement-regroupement-chut ! Ils intériorisent parfois ce premier pas dans le travail scolaire comme une agression, voire LE travail scolaire comme une agression.
Mauvais départ !

 

Passation collective de consignes
en PS/MS : Analyse

Pour accéder à la consigne transmise au sein d'un regroupement collectif, l'enfant doit être capable de :
- se mobiliser sur commande pour écouter l'enseignant quand il le demande.
- comprendre le sens du langage scolaire à travers un lexique et une syntaxe spécifiques.
- maîtriser la communication collective pour suivre l'adulte qui parle au loin, à tous, du travail, de certains.
- être capable de concentration pour intégrer la suite de consignes sans se perdre ou déranger.

Pas exactement les caractéristiques d'un enfant de 3, 4 ans.

Bien sur, quelques uns arrivent à l'école avec ces compétences, ils écoutent, comprennent la consigne. Il est facile de s'adresser à eux, il est agréable de travailler avec eux.
Ils nous renvoient une image positive de nous-même : nous sommes efficaces, puisqu'ils nous comprennent. Ils rendent le regroupement collectif possible, puisque eux, ils y arrivent bien...
Généralement, on se réjouit de les avoir dans la classe.

Mais les autres...
Ceux qui n'écoutent rien, ne comprennent pas, les pénibles qui dégoulinent sur le banc quand ils ne mettent pas le bazar...
Et ceux qui ne suivent pas vraiment, mais le font discrètement !
Mes mots ne semblent pas les atteindre.

Ils nous rendent la tâche difficile.
Il faut souvent les rappeler à l'ordre au coin regroupement, leur expliquer à nouveau la consigne en atelier alors que l'on souhaiterait pouvoir enfin exercer notre coeur de métier : enseigner, au moins au sein de notre atelier.
Même avec la meilleure volonté, je ne peux les accueillir aussi favorablement que ceux qui possèdent déjà une posture d'élève.

Voie royale pour certains, chemin épineux pour d'autres, la passation collective de consigne déroule des parcours bien différents en fonction des bagages de chacun.
Ce dispositif m'a semblé constituer un premier facteur d'exclusion.
Comment permettre à chaque enfant, dès la petite section, d'avoir accès à la consigne scolaire, sans qu'un choc de culture ne fige en mauvais élèves dès la première année «ceux qui n'écoutent rien...» ?
J'ai choisi de proposer d'autres voie d'accès à l'activité et aux apprentissages, des chemins adaptés aux spécificités de la petite enfance, qui ne conduisent personne dans le fossé.
C'est ce que l'ouverture progressive des ateliers cherche à atteindre, tout comme l' enseignement progressif du langage scolaire.

 

Une alternative : l'ouverture
progressive des ateliers

Il y a dans ma classe des élèves au profil scolaire : je ne regroupe personne mais j'utilise leur appétit d'école. J'ouvre un par un les ateliers, en commençant par les ateliers autonomes. Ils accourent pour s'inscrire.
(Au fil des mois, ces élèves se repèrent dans le plan de travail et attendent l'ouverture de l'atelier de leur choix.)
J'amène ces enfants à énoncer la consigne scolaire en situation, autour du matériel, dans la proximité. Le sens des mots, l'orientation de la tâche, les niveaux de difficultés dans le cas d'ateliers échelonnés, sont abordés.
Nous exerçons une communication collective dans un cadre limité, adapté au jeune enfant : six intervenants maximum qui se sont mobilisés par eux-mêmes, des enfants impliqués, plus attentifs et concentrés, qui échangent autour d'une consigne qui les concerne.

Il y a des enfants que le bagage personnel, culturel, familial, ou relationnel n'incline pas aux activités scolaires. Je les laisse jouer, se déplacer dans la classe, tant qu'ils ne dérangent pas les autres. Bien souvent, rassasiés des coins jeux, intrigués par l'enthousiasme des bons élèves, ou des plus grands, ils s'arrêtent sur un atelier, observent l'activité se dérouler devant eux, construisent du sens avant qu'on y articule des mots, engrangent une envie d'expérimenter par eux-mêmes. Ils s'engagent alors à leur tour.

Enfin, je vais chercher les quelques élèves qui n'ont pas décroché des coins jeux pour les inscrire à un atelier. Ce sont ces élèves qui ont le plus besoin de la médiation de l'enseignant pour accéder à la consigne et aux apprentissages. J'essaie alors d'être particulièrement disponible pour eux, de mettre la consigne scolaire à leur portée en l'appuyant sur le matériel mis en place, l'activité des enfants déjà présents et une structure de communication proche de l'échange interindividuel adulte/enfant.
Ce dispositif réserve un temps ou l'on peut être délibérément à disposition des élèves les moins demandeurs, souvent les plus fragiles, sans se faire happer par les autres.

Ce qui change par rapport à une transmission de la consigne en grand groupe :
- Une seule consigne est énoncée en situation pour le groupe concerné, généralement attentif.
- La structure de communication est d'une taille adaptée à la petite enfance. Nous prenons, à chaque fois que cela est possible, le temps de verbaliser la consigne, de lui donner du sens. L'échange et le questionnement parfois maladroit des petits parleurs ne risquent pas de mettre en péril le regroupement collectif. On peut prendre le temps d'élaborer le langage le plus pertinent.
- Les enfants ont la possibilité d'observer, d'analyser l'activité avant de s'y engager.
Même ceux dont le bagage est très éloigné de l'école peuvent accéder au sens, à l'orientation de la consigne avant d'en connaître les mots. Ils se laissent parfois aussi contaminer par l'enthousiasme des autres.
- L'engagement de certains enfants et l'accompagnement ciblé de l'enseignant génère un investissement et une attention de meilleure qualité.
- L'accès à la consigne est différencié, il est aménagé aussi pour les petits parleurs, les enfants culturellement éloignés de l'école, les petits de décembre qui ont un besoin de jouer pressant...
Ce qui ne change pas, c'est l'obligation de participer au moins à un atelier sur le créneau horaire, de s'engager ou de suivre un apprentissage déterminé par l'enseignant : on est bien à l'école même si on semble éloigné du modèle professionnel classique.

Évolution du dispositif et IO

Grâce aux progrès, aux compétences acquises par les élèves, le dispositif de passation de consignes évolue tout au long de la maternelle.
Ayant travaillé plus de quinze ans en classe unique maternelle, j'ai pu expérimenter cette graduation sur tout le Cycle :



Cette progressivité est bien sur à adapter aux réalités du groupe. Elle rejoint les instructions officielles de 2008.

Dans les «Repères pour organiser la progressivité des apprentissages à l'école maternelle», publiés en annexe des IO 2008, on peut lire "l'enfant doit être capable :
- de comprendre une consigne simple dans une situation non ambiguë, en petite section
- de comprendre les consignes des activités scolaires, au moins en situation de face à face avec l'adulte, en moyenne section
- de comprendre des consignes données de manière collective, en grande section
."

La passation de consigne collective semble s'adresser plutôt aux élèves de grande section, dans ce document officiel. Les IO semblent ouvrir d'autres possibles, très peu entendus.

C'est que le regroupement collectif pour transmettre la consigne à l'ensemble de la classe est bien ancré dans les postures professionnelles, c'est un peu ce qui caractérise une "classe" : l'enseignant devant les élèves qui explique le travail à faire.
La question de sa pertinence en PS/MS ne semble même pas se poser.
C'est ce qu'attendent parfois les visiteurs d'une classe, pour qui l'école maternelle n'est qu'une extension de l'élémentaire.
Pas facile de proposer une autre forme d'organisation, d'offrir une image de classe éloignée de l'école traditionnelle. Il faut alors justifier, démontrer qu'on y est bien, que l'apprentissage de tous est bien au centre de l'organisation, même si cette dernière ne "mime" pas l'élémentaire.